Sociétés Immobilières Patrimoniales: comment les financer ?
Introduction:
Cet article est le premier d’une série que nous consacrerons dans les prochains mois aux Sociétés Immobilières Patrimoniales.
Dans le marché immobilier professionnel belge, il arrive en effet fréquemment que les investisseurs détiennent leurs actifs en société. L’achat des parts sociales d’une société entraine certaines difficultés, parmi lesquelles le financement.
Cet article explore donc les principaux défis liés aux financements des sociétés immobilières et aux solutions pour y faire face.
1 - Les écueils :
Bien que le rachat de parts sociales puisse être avantageux à de nombreux égards, financer une telle opération présente des défis spécifiques. Les banques sont souvent plus réticentes à financer un rachat de parts sociales qu'une acquisition immobilière directe.
Ces réticences peuvent affecter la LTV (Loan To Value – proportion de la valeur du bien immobilier prêtée par la banque), le taux ou même la décision d’octroi du crédit. Elles sont principalement dues (i) aux difficultés de fournir des garanties suffisantes et (ii) aux règles d’assistance financière.
I - Les garanties ou sûretés
Les sûretés bancaires constituent une première difficulté dans le cadre d’un rachat de parts sociales. Contrairement au confort qui peut être donné aux banques au travers la prise en hypothèque d’un bien immobilier à l’occasion d’une acquisition classique, dans le cas d'un rachat de parts sociales, ces mêmes banques ne peuvent obtenir directement une hypothèque sur l'actif immobilier, qui reste propriété de la société faisant l’objet de l’acquisition.
Un nantissement des parts sociales (gage sur action) peut être envisagé, mais il est souvent jugé moins solide qu'une hypothèque sur le bien immobilier, et ce, en grande partie car le nantissement d'actions présente des risques liés à la volatilité de la valeur (tributaire du reste de l’actif de la société), à la difficulté d’exécution de la sûreté en cas de défaillance et à la liquidité de l’actif sous-jacent (les actions). En outre, la banque ne peut pas valoriser le nantissement des parts sociales de la même façon qu’elle le ferait pour une sûreté hypothécaire, en raison notamment des normes dites de « Bâle » qui deviennent chroniquement plus strictes. Une banque doit donc réserver une plus grande part de son capital lorsqu’elle finance un rachat de parts sociales que lorsqu’il s’agit d’une acquisition classique. En conséquence, la marge qu’elle réclamera pour financer l’opération sera habituellement plus élevée.
II - L’assistance financière et ses restrictions
Principes
L'assistance financière en Belgique est régie par l’article 7 :227 du nouveau Code des sociétés et des associations (CSA), qui interdit à une société de fournir une aide financière pour l'acquisition de ses propres actions ou parts sociales. Cela signifie que la société-cible ne peut pas financer directement ou garantir l'emprunt utilisé pour son propre rachat. Le Législateur voulait, entre autres, éviter les situations où la société-fille mettrait sa viabilité financière en péril à cause des garanties qu’elle accorderait à la société-mère.
Les règles d’assistance financière limitent fortement les possibilités de recourir aux actifs de la société-cible pour faciliter l’acquisition de ses parts sociales. Toute tentative d’utiliser la trésorerie ou les actifs de la société cible pour aider à financer l’acquisition serait dès lors contraire à la législation belge, à moins que certaines conditions très strictes ne soient respectées.
Prenons un exemple volontairement simplifié pour illustrer ce problème :
La société Alpha détient un immeuble de bureaux en centre-ville, d'une valeur de 10MEUR. Monsieur Bêta détient une holding Gamma et souhaite, à travers elle, acheter les actions de la société Alpha.
Considérons que les parts de la société Alpha sont évaluées à 9MEUR et qu’elle n’est pas endettée. La société Gamma devra alors financer en partie les 9MEUR via une banque et ses fonds propres. La banque sera réticente à injecter trop d’argent dans la société Gamma car (i) elle n’aura que les parts de la société Alpha en gage (ii) la capacité de remboursement du crédit d’acquisition dans Gamma sera dépendante du cash qui pourra remonter de la société Alpha. En outre, le crédit d’acquisition sera sur une durée de 7 ans maximum (en général), ce qui réduit d’autant plus le montant du crédit que la banque pourra consentir.
Alpha pourrait alors être tentée de (re)financer son actif immobilier en donnant à la banque une sûreté hypothécaire. L’argent du crédit servirait alors à être prêté à Gamma afin que celle-ci puisse rembourser en tout ou partie le crédit d’acquisition de la société Alpha.
Ce type de mécanisme est donc interdit pour éviter toute mise en danger organisée de la société, manipulation de fonds sociaux ou violation de la protection des actionnaires et créanciers.
À noter par ailleurs que les banques exigent que la société immobilière, lorsqu’elle recourt à de l’emprunt, justifie ce choix conformément à ses statuts et son objet social. En d’autres termes, il paraît très compliqué d’obtenir un financement si ce n’est pas dans le cadre de la gestion immobilière de la société.
Enfin, il convient de préciser que la réglementation relative à l’assistance financière ne concerne que les SA, SRL et SCRL. Les sociétés en commandite simple (SCS) ne sont donc pas visées par cette règlementation ce qui offre, dans certains cas, des pistes de solutions.
2 - Les solutions pratiques
Chaque acquisition est différente et, que ce soit au niveau corporate ou privé (personne physique), les banques considèrent leurs clients individuellement (en fonction de leur historique, de leur volume d’affaires, de la valeur des actifs immobilisés dans leur institution, …). Ainsi, et bien que les banques respectent scrupuleusement les règles liées à l’assistance financière et prennent toujours en considération la solidité de leurs sûretés, chaque dossier sera analysé in concreto et des solutions sur mesure seront réfléchies pour chacun de leurs clients.
Nous nous concentrerons donc sur l’énumération de ce qui nous semblent être les solutions les plus couramment adoptées par les banques pour répondre aux besoins de leurs clients lorsqu’ils acquièrent les parts d’une société immobilière :
I - Le refinancement des dettes existantes de la société-cible (RECo)
Si la banque est contrainte aux règles de l’assistance financière reprises ci-dessus, rien ne l’empêche de refinancer les crédits en cours dans la société, ainsi que les comptes courants éventuels.
C’est la voie la plus logique et la plus saine de se financer. D’abord parce qu’elle permet à la RECo, propriétaire du bien immobilier, d’octroyer une inscription hypothécaire sur celui-ci à la banque. Ensuite parce qu’elle permet à la RECo d’assurer le remboursement de ses mensualités grâce aux loyers perçus.
Cette solution est également intéressante pour la RECo qui pourra se financer sur un terme long (souvent 15 ans), ce qui plus compliqué lors du financement de parts (v. infra).
Il va sans dire que la banque prendra en considération les fondamentaux immobiliers (valeurs, cash flows sécurisés,…) des actifs détenus par la RECo avant de déterminer le levier (LTV) et la durée de financement qu’elle accordera à son client.
II - Le financement des parts de la société-cible dans la société Holding (HoldCo)
Financer l’acquisition des parts d’une société dans les mains d’une personne physique ou d’une société Holding (HoldCo) peut s’avérer plus compliqué et ce, pour trois raisons principales :
1 - La solidité de la sûreté
Comme analysé ci-dessus, la HoldCo n’est pas directement titulaire des droits réels sur l’actifs immobilier et la RECo ne peut concéder d’hypothèque sur ledit bien pour le compte de la HoldCo. Ainsi, la sûreté logique à laquelle la banque pourra prétendre est le nantissement des parts sociales de la RECo, avec les écueils évoqués plus haut, et la nécessité de procéder à une triple analyse dans le chef de la banque (celle de la HoldCo, celle de la RECo et celle de l’actif sous-jacent). Ce risque complémentaire pris par la banque se solde généralement par l’obligation d’augmenter sa marge, et donc le taux de financement.
2 - Les capacités de remboursement
La banque commence par analyser les projections de cash-flows futurs pour s'assurer que la société sera en mesure de couvrir les charges d’intérêts et de capital du financement. Les revenus locatifs et les charges d’exploitation sont ici essentiels.
Pour rembourser le capital et/ou les intérêts lié(s) à l’acquisition de la RECo, la HoldCo doit pouvoir ensuite faire remonter des liquidités de la RECo. Or, si la valeur comptable des actifs immobiliers détenus par la RECo est trop élevée, leurs amortissements viendront réduire la base imposable de la RECo et par conséquent les capacités de distribution de la RECo vers la HoldCo
C’est donc la capacité de remboursement de la HoldCo qui pourrait souffrir de ce « cash trap » et empêcher l’investisseur d’obtenir le financement du montant escompté.
3 - La durée des crédits d’acquisition
Bien qu’elle dépende de nombreux facteurs (tels que la nature de l’actif immobilier, la stabilité des flux de trésorerie, le profil de l'acquéreur, ou encore les politiques internes de la banque), la durée de financement des parts d’une société dépasse rarement 7 ans.
La combinaison de ces trois facteurs (taux élevés, capacité de remboursement réduite dans le chef de la HoldCo et durée courte des crédits) peut rendre compliquée la mise en place de ce type de crédits .
Dans certaines situations pourtant (e.g. actifs sous-jacent très amortis générant une haute rentabilité et dont les cash flows futurs sont sécurisés), le financement des parts sociales peut offrir une solution principale ou accessoire intéressante pour les acquéreurs nécessitant un levier important.
III - Le financement d’un dividende exceptionnel (debt push down)
Lorsque la RECo a accumulé d’importantes réserves à la suite de dividendes non distribués, il lui est possible de faire financer un dividende exceptionnel. Cette pratique, empruntée aux opérations de leverage buy-out qu’on retrouve plus souvent dans des acquisitions de sociétés commerciales, peuvent s’avérer intéressantes. Il faut toutefois les utiliser avec précaution.
Sans entrer dans des détails techniques, le financement d’un dividende exceptionnel dans la société-cible peut se faire moyennant certaines conditions, notamment l’assurance que l’emprunt n’assèche pas les liquidités de la cible et sa capacité à rembourser les éventuels crédits restants. Dans cette hypothèse, la RECo finance un dividende exceptionnel par le biais d’un crédit bancaire sécurisé par l’actif immobilier, le cash pouvant alors servir in fine à rembourser une partie du crédit d’acquisition dans la HoldCo. La solution ravira la banque, qui pourra alors constater que le crédit d’acquisition logé dans la HoldCo se remboursera plus vite et qui préfèrera évidemment conserver une dette « sécurisée » au sein de la société-cible.
Si cette méthode a pour avantage de placer le crédit dans la société générant les revenus et qu’elle était jusqu’il y a peu largement utilisée, la jurisprudence a admis de manière unanime que les intérêts liés au financement des dividendes était non déductibles.
Cet impact fiscal a donc largement réduit l’intérêt de cette solution.
L’ensemble de ces solutions (en particulier le debt push down et la constitution de SCS) doivent s’analyser au cas par cas, avec des experts et/ou avocats spécialisés pour évaluer leur légalité et leur cohérence.
Conclusion:
L’acquisition d’une société immobilière peut paraître compliquée pour les non-avertis. Pourtant, cette option offre de nombreux avantages, et les risques qui y sont liés peuvent être considérablement réduits. Mais comme souvent, il convient d’être bien conseillé pour ce faire, par exemple pour la structuration du financement (nous reviendrons prochainement dans ce blog sur les avantages et inconvénients de ce type d’acquisition, via une société).
Avez-vous envie de réfléchir à la mise en place d’une société immobilière pour votre patrimoine?
N’hésitez pas à nous contacter et parlons-en ensemble!